Présentation

Gisant

Le geste de sculpture
de Sébastien Hoëltzener traverse
des formes aussi modestes
qu’une pomme de terre,
qu’un vaste champ de bleuets ;
et tout lieu, qu’il soit à ciel ouvert
ou clos, est pour lui un jardin.

Cela commence par une enquête aux aguets des données de l’étendue : Sébastien Hoëltzener mesure le site, observe la hauteur des choses, pour que tout ce qui est en place sur le lieu soit et demeure le local remarquable. Tout se passe comme si la sculpture à venir était déjà là. Par suite, ce que le sculpteur glisse dans l’espace permet de mieux voir ce qu’il contenait déjà. Aussi, les volumes existants, la qualité de l’air, le son ambiant, ce qui se rencontre sur place sont les matériaux qui influencent le travail.

L’artiste essaie d’amplifier toutes ces données perceptives par le truchement d’une installation ou d’un dispositif : montrer plus que ce que l’on voit dans ce qui était déjà là, c’est étendre davantage l’objet comme partie de l’étendue. Ou bien a-t-il l’aspiration secrète d’éprouver dans le paysage ce phénomène de réduction semblable à la concentration que l’on applique à soi-même — soit ici retournée dans les lieux… La sculpture s’inscrit ainsi sur une ligne fragile en ce que tout apport extérieur censé donner à voir les lieux crée fatalement des perturbations.

Quant aux données du temps, la durée est liée ici à la déambulation. Sur des parcours proposés dans lesquels les résultats de l’enquête viennent s’inscrire dans la mémoire, le promeneur-spectateur peut, en analogie avec ce qui se passe dans l’espace, à travers l’expérience des répétitions, faire se rejoindre dans le présent des éléments de souvenir et d’anticipation – jouant ainsi du lointain et du proche.

Texte : Franck Gourdien, 2014

Les Pièges

La preuve par neuf

Sébastien Hoëltzener réalise forme, installations et objets divers. L’artiste Hoëltzener s’impose néanmoins une discipline rigoureuse. Car ce qu’il fait n’est pas sans distance vis-à- vis de ce que le regard commun habitue à considérer comme art. Procédé malin, puisque cette distance lui confère paradoxalement ce statut. Mais il faut ici être un peu plus explicite. Derrière la rudimentaire présence des choses apparaissent en creux ses conditions d’existence : l’espace qui les contient. À ses yeux, point de couchers de soleil ni de ciels bleus qui rivalisent avec nombre de dispositifs simples et malicieux, de telle sorte qu’il mobilise nécessairement le spectateur. Il l’invite à prendre conscience de l’espace qu’il parcourt. Y contribue l’intrication méthodique des œuvres au lieu qu’il a choisi d’investir. Ainsi il est impossible d’en considérer un sans prendre la mesure de l’autre. L’espace d’exposition, petit ou grand, révèle les œuvres, qui révèlent le cœur de l’espace réciproquement. Une attention permanente à ce qui les constitue l’un par l’autre est ce qui bat en brèche toute réduction formelle de ce travail.

Texte : Fred Guzda, 2021

La Déesse


Lecture du travail de Sébastien Hoëltzener

par Felix Giloux, critique d'art.


Dans une interview de 1998, l'artiste italien Luciano Fabro, l'un des grands protagonistes de l'Arte Povera, dit : "La forme n'est pas quelque chose de perceptible comme un pattern, elle apparaît plutôt comme un résultat dynamique, qui est encore mental. La forme est un absolu, mais ce n'est pas quelque chose qui se trouve déjà dans la tête, elle correspond à une expérience en train de se faire1". Fabro met l'accent sur la nécessité d'envisager le faire et l'idée comme deux aspects à ne pas opposer à l'intérieur du processus créatif.

La trajectoire de Sébastien Hoëltzener semble proche de ce type de posture par des formes qui ne paraissent jamais stables, achevées, univoques, mais qui se déploient dans l'espace de manière énigmatique en affichant leur aspect fragile, dérisoire, mouvant ; elles sont ouvertes à la configuration de leur lieu d'implémentation. Les installations de l'artiste ont en effet comme particularité d'être discrètes : elles ne s'imposent pas au regard sur un mode autoritaire, elles ne polarisent pas notre attention sur leur propre matérialité, au contraire elles nous invitent à redécouvrir la morphologie d'un territoire en suivant un nouveau chemin suggéré par ces formes qui sont souvent disséminées ou déployées dans les espaces.

Qu'il s'agisse de grilles, de bornes ou de fils tendus dans les espaces, tous ces éléments renvoient à la notion de délimitation d'un périmètre donné ou encore à voir, mais également à l'image du chantier, à un espace toujours en cours de transformation, et donc en dernière instance à une politique de l'inachèvement.

L'artiste utilise à plusieurs reprises comme dans ses "Jardins Clos" (2003-2009) qui est un autre mouvement déployé, des matériaux organiques comme des feuilles mortes, des pommes de terre, des oeufs, un papillon desséché. Ces matériaux renferment une vie résiduelle, une vie passée qui s'est momentanément transfigurée le temps de l'exposition, mais qui est toujours susceptible de reprendre. Le cas le plus récurrent est peut-être celui des pommes de terre qui sont enveloppées dans du plâtre. Ici le tubercule se retrouve étouffé dans une pellicule minérale et inorganique qui renvoie aux plâtres utilisés pour les sculptures de l'histoire de l'art, et qui donc trouve sa place dans l'espace de l'exposition à travers cette filiation avec le passé. En réalité, le tubercule continue d'évoluer à l'intérieur de son enveloppe aseptique, le plâtre pouvant être détruit ou dissous après le temps de son exposition, permettant à la pomme de terre de s'offrir une seconde vie. Autrement dit les objets mis en scène par Sébastien Hoëltzener ont toujours plusieurs strates de sens, ils peuvent muter selon les contextes d'exposition et selon les choix subjectifs de celui qui les manipule.

Ce sont en somme des objets indissociables de l'expérience qu'on en fait dans le temps, et ils jouent souvent le rôle d'indicateurs de direction, si on peut dire, dans un espace donné : ils nous indiquent qu'ici ou là, il y a pour notre œil la possibilité d'une nouvelle direction à prendre, bien que ça soit à nous d'en dessiner les contours, de nous arrêter, de saisir l'opportunité d'une cohabitation.

1 Luciano Fabro, "La forme est toujours le résultat de l'acte [1998]", repris dans Giovanni Lista (dir.), Arte Povera, Milan, Abscondita, 2011, p. 21. Traduction par nos soins.

Texte : Félix Giloux, Février 2023




Prélèvement, exposition collective L'un foule, cloître de la Psalette, Tours, 2007

Prélèvement, exposition collective L'un foule, cloître de la Psalette, Tours, 2007.

Fond de sable, quatre piquets de musée, carré de gravillons du Loir.

Sans titre ?, Pougues les Eaux, 2006

Sans titre ?, Pougues les Eaux, 2006.

Dessin cachemire, Château de Saran, 2003

Déambulateur cachemire, Château de Saran, 2003.


















Par hasard

Par hasard, Usine Chapal,
Atelier Prat, Montreuil, 2021.
Crédit photo : Silvana Reggiardo

Tas de pommes de terre, Mijanes

Tas de pommes
de terre plâtrées
, 2003.
Photographie : 2021.